Découvrez l’histoire de Grisbee, racontée sous un nouvel angle par Jean-François Beau, auteur du livre « Libres : portraits d’entrepreneurs » et du blog Aglaosnous.fr :
Pour faire fructifier l’épargne de madame Michu, il faut être aussi direct que Fernand dans les Tontons Flingueurs et garder un œil attentif sur le grisbi. Quatre gars ont ainsi décidé de monter leur start-up. Pas question pour eux de laisser tout le marché de la gestion de patrimoine aux clans établis, grandes banques et autres cabinets de gestion privée.
Le polar démarre au pied de la grande arche de la Défense en 2011. Les quatre ne sont alors que trois. Ils déjeunent régulièrement d’un sandwich, sur le parvis. Cadres de grandes entreprises depuis une dizaine d’années, deux d’entre eux exercent dans le conseil et le troisième en gestion d’actifs.
Maxime, Frédéric et Emmanuel rêvent d’autres horizons, d’un grand bol d’air, de liberté et aussi d’aventure, en un mot, de s’affranchir. D’une conversation à l’autre, leurs récriminations se concentrent sur leurs banquiers respectifs : pas de vrai suivi, pas de conseil. C’est d’autant plus frustrant qu’ils oeuvrent tous les trois dans la finance et qu’ils sont bien conscients que l’on peut faire mieux pour les clients. Quand la banque de l’un ferme son plan d’épargne par inadvertance et sans le prévenir, l’engeance commence à les leurs briser menu.
Créer le conseil financier pour tous
Action-réaction, le pacte est scellé : les trois vont se lancer dans l’aventure de la fintech avec comme mission d’offrir à tous un véritable conseil financier abordable, quel que soit le patrimoine et les revenus. Pour cela, il faut passer par l’outil internet, seul à même d’abaisser sensiblement les coûts de prise en charge du client. Comme la rue appelle le porte-flingue, le coffre le perceur, internet en pince pour son spécialiste, le développeur.
Les trois ont la chance d’en dégotter un, croisé en voisin de palier dès potron-minet lors de la migration pendulaire quotidienne de l’un d’entre eux qui le conduit aux tours de la Défense. Pas prétentieux, l’homme de l’art n’hésite pas à proposer son aide juste pour rendre service, comme Alphonse.
Adrien, c’est son blaze, réalise donc le site, avec doigté. Comme une bonne action n’est jamais perdue et que nos hommes d’honneur ont reconnu en lui la marque du spécialiste, ils lui font une proposition qu’il ne peut pas refuser : devenir associé. Malgré leur haute culture, les quatre ne trouvent pas un meilleur néologisme que finansemble.fr pour nom de leur établissement en ligne, lancé en janvier 2013. L’offre est simple, il s’agit, comme Vente Privée dans un autre domaine, et en espérant le même succès, de mettre à disposition des internautes des offres attractives de produits d’épargne. Nos acolytes ont monté des partenariats avec des établissements financiers avec lesquels ils négocient des avantages spécifiques, offerts pour un nombre limité de souscripteurs.
Defiscalisator, le dézingueur d’impôts
Le premier succès est au rendez-vous, mais les quatre associés se disent que leur produit ne répond pas complètement à leur mission initiale : apporter du conseil. Ils forgent alors leur première arme : Defiscalisator, améliorant au passage leur sens de la formule. En quelques clics, l’internaute peut exterminer ses impôts et se voir conseiller les niches fiscales qui correspondent le mieux à sa situation. Même la presse flaire le filon et se fait l’écho de ce premier dézingueur d’impôts apparu sur le web français en octobre 2014. Les internautes se ruent sur le site par dizaine de milliers, démontrant que si le Français continue à voter, il n’est pas dupe quant aux perspectives de baisse de la pression fiscale.
Quelques bonnes âmes ont cependant la générosité de viser d’autres buts que la défiscalisation. Nos quatre gars se sentent enfin prêts pour créer le plan ultime, celui qui permettra à chacun d’atteindre son graal, château en Espagne, retraite à Pontoise ou tout autre rêve plus avouable. Pour cela il faut être capable de consolider l’ensemble d’un patrimoine, de suivre et piloter l’allocation de l’épargne et de conseiller le client à partir d’un diagnostic de sa situation financière.
Premier pas : un calculateur de pension de retraite, suffisamment précis pour indiquer à Marcel où et combien il doit mettre de côté pour assurer son train de vie une fois rangé des camions. Surfant sur les grandes angoisses de nos compatriotes, l’équipe prépare aussi un calculateur des frais de succession, puis, pour ceux à qui la vie a souri, un simulateur d’ISF. Avec un tel arsenal, il est temps de se doter d’une équipe capable de conseiller les clients sur les meilleurs produits où placer l’argent une fois celui-ci sorti des griffes du fisc, et d’un nom qui cause à l’oreille de madame Michu.
Grisbee touche au grisbi
Revoyant leurs classiques, Frédéric, Adrien, Emmanuel et Maxime dégotent enfin le plus évocateur des mots : grisbi, qui au passage devient Grisbee, filant la métaphore pour anticiper une prochaine internationalisation de l’entreprise ou faire un clin d’œil à l’abeille qui dans sa ruche produit le miel, simple image de l’épargnant ou symbole de l’économie de marché selon Mandeville et sa fable fameuse. On ne sait si le plus long fut de trouver le nom ou de développer les produits et services, toujours est-il que Grisbee est opérationnel en octobre 2016, soit un an et demi après avoir commencé à y penser sous cette forme.
Au passage, l’équipe s’est dit qu’il serait dommage de développer un si bel outil, utilisable par tous, s’il doit rester l’apanage de quelques milliers d’initiés. Il faut donc se donner les moyens d’envisager les opérations à une autre échelle, de se structurer, d’accélérer le développement technique et commercial. Plutôt que de travailler à l’ancienne et de percer un coffre, les gars préfèrent entrer par la grande porte, façon start-up et que la banque leur propose directement l’argent. C’est le Crédit Mutuel Arkéa qui se montre alors le plus sensible à cette politesse de garçons bien élevés. Grisbee lève trois millions d’euros auprès de l’établissement mutualiste.
De quoi aller au bout du développement des outils en ligne, recruter une équipe de conseillers experts et mettre en place une sélection d’une quarantaine de produits financiers différents, y compris une assurance-vie maison. Celle-ci n’est pas la seule présentée ; attention aux différences des situations individuelles des clients oblige.
20 millions d’encours en 13 mois
A la fois plateforme permettant à l’utilisateur d’y voir clair dans l’ensemble de ses actions patrimoniales et cabinet de gestion privée, la start-up compte maintenant quinze personnes. Les conseillers répondent aux clients par téléphone, un bon tuyau par le bigophone valant mieux qu’un banquier sans expertise dans une agence, comme en témoignent les 20 millions d’euros d’encours confiés par les clients en treize mois.
Comme des tauliers voyant de jeunes rivaux marcher sur leurs platebandes, les banques et les cabinets de gestion privée surveillent d’un œil la réussite de Grisbee. Et si l’avenir lui appartenait déjà ? Des secteurs entiers dévorés par des jeunes loups ayant compris plus tôt que les autres qu’internet pouvait tout changer et emmener les clients fréquenter une autre crèmerie, on en a vu d’autres.
Quant à Adrien, Frédéric, Emmanuel et Maxime, maintenant qu’ils ont touché à l’aventure, ils se voient mal revenir à la Défense. « on ne devrait jamais quitter Montauban » disait Monsieur Fernand, eux ont retrouvé Versailles et une liberté qui leur est chère, l’avenir n’est pas encore écrit, mais une chose est certaine, il fallait y toucher !